Une enquête du journal l’enquêteur
Une affaire explosive secoue le golf ivoirien. Une fraude d’une grande envergure, une grande première, mêlant argent, faux documents, cachets clonés et complicités au sommet. En toile de fond, 100 millions de francs CFA soutirés du compte d’une association sportive respectée, l’AS Ivoire Golf Club, hébergé à la BICICI.
Le faux qui valait cent millions
Tout commence en 2021. L’Association Sportive Ivoire Golf Club (AS IGC), fondée en 2012 par Jean-Claude Bartschi et présidée par René Amani, gérait paisiblement ses affaires depuis près d’une décennie. Son compte bancaire, logé à la BICICI, alimentait les activités sportives de ses membres. Rien ne laissait présager la tempête.
Mais à la faveur du décès d’un de ses membres influents, le Premier ministre Hamed Bakayoko, un groupe mené par Patrick Kei Boguinard flairera l’opportunité. Les enquêteurs affirment qu’ils ont tout simplement créé une fausse AS Ivoire Golf Club, copiée à l’identique : même logo, même cachet, mêmes statuts, même adresse.
L’objectif ? Prendre le contrôle du compte de 100 millions FCFA. Et, selon plusieurs sources bancaires, la BICICI aurait validé l’opération sans broncher.
Une contrefaçon au millimètre
L’ingéniosité du montage force presque l’admiration. Les faussaires auraient produit des statuts falsifiés et de faux procès-verbaux d’assemblée générale, présentés à la banque comme preuve d’un changement de bureau.
Quelques signatures, un tampon, et la machine bancaire s’est emballée.
Des retraits en millions s’enchaînent, dans un silence administratif assourdissant.
« Nous avons découvert trop tard que des mouvements avaient été opérés sur notre compte. Les fraudeurs utilisaient notre logo et un cachet identique au nôtre », raconte un membre du bureau légitime, encore abasourdi.
Pendant des mois, la supercherie prospère à ciel ouvert.
Quand le préfet reconnaît avoir “agi sur ordre du ministre”
Le scandale prend une dimension politique lorsque le nom de Goun François, alors préfet d’Abidjan, surgit dans le dossier. L’homme reconnaît avoir délivré des récépissés de déclaration et un agrément à l’équipe de Boguinard.
Et la suite glace le sang :
« J’ai reçu l’ordre de mon supérieur, le ministre du Tourisme et des Loisirs, Siandou Fofana, de faire en sorte que M. Boguinard obtienne son agrément », aurait-il confié.
Ce témoignage, explosif, laisse planer un sérieux doute : le ministère aurait donc couvert – ou du moins facilité – la création de la “fausse” AS IGC. Et ce, alors même que le dossier de l’équipe fondatrice de Bartschi était en cours de régularisation à la Primature.
BICICI, un coffre-fort trop facile à forcer

L’autre grand acteur du scandale, c’est la BICICI. Comment une banque d’envergure internationale a-t-elle pu ouvrir son coffre à des faussaires, simplement sur la foi de documents papier ?
Les règles KYC (“Know Your Customer”) exigent pourtant la vérification d’identité et d’authenticité des signataires.
Ici, aucune vérification auprès de l’administration.
Résultat : les faux dirigeants ont eu accès à un compte de 100 millions, en toute légalité apparente.
Le journaliste Villard Dosso, auteur de l’enquête, a saisi la direction de la BICICI le 1er août 2024, réclamant les copies des documents utilisés. Silence radio.
Un mutisme illégal, en violation de la loi n°2013-867 sur l’accès à l’information publique, qui garantit à tout citoyen le droit de consulter les documents d’intérêt général.
L’accusé contre-attaque, la presse menacée
Interpellé, Patrick Kei Boguinard monte au créneau. Dans un courrier adressé au journaliste, il nie tout en bloc :
« Nous n’avons reçu aucun fonds publics ni subvention gouvernementale. L’AS IGC n’est pas tenue de publier ses comptes. »
Une défense sèche, avant une phrase à la tonalité plus inquiétante :
« Tout manquement de votre part engagerait votre responsabilité. »
Une mise en garde à peine voilée, perçue comme une tentative d’intimidation envers la presse d’investigation.
Mais les faits, eux, parlent d’eux-mêmes : documents falsifiés, signatures douteuses, et flux financiers à la traçabilité incertaine.
Les juristes dégainent le Code pénal
Pour le cabinet SCPA Kakou-Doumbia-Niang et associés, il ne s’agit pas d’un simple conflit interne.
« Ces manœuvres frauduleuses constituent des infractions de faux et usage de faux dans des actes administratifs, et d’escroquerie aggravée », tranche un avocat du cabinet.

Le Code pénal ivoirien est sans ambiguïté :
Article 311 : six mois à trois ans de prison pour falsification de documents officiels.
Article 312 : même peine pour obtention de document par fausse déclaration.
Article 471 : jusqu’à cinq ans pour escroquerie par manœuvres frauduleuses.
Une plainte a été déposée contre Patrick Kei Boguinard, son conseil d’administration et toute personne impliquée.
Le dossier est désormais sur la table du procureur.
La CAIDP entre en jeu : le ministère sommé de livrer les documents
Saisie par le journaliste, la Commission d’Accès à l’Information d’Intérêt Public (CAIDP) a rendu en mars 2025 une décision qui fait date.
Elle juge la demande recevable et ordonne au ministère du Tourisme de transmettre tous les documents relatifs à l’affaire :
autorisations d’utiliser le nom et le logo de l’AS IGC,
procès-verbaux de passation entre Amani et Boguinard,
PV de l’assemblée générale 2022,
et pièces permettant l’accès au compte BICICI.
« Ces documents sont publics et communicables », tranche la CAIDP, rappelant que le ministère n’avait aucune base légale pour garder le silence.
Un camouflet pour l’administration, et une victoire symbolique pour la liberté d’information.
Quand l’administration devient la porte d’entrée de la fraude
Au-delà du cas de l’AS IGC, cette affaire révèle un mal plus profond : la vulnérabilité structurelle de l’administration ivoirienne.
Une signature, un cachet, un tampon – et voilà qu’un réseau parvient à s’emparer de 100 millions FCFA.
La BICICI, de son côté, incarne l’autre maillon faible : une institution censée protéger l’argent des associations, mais qui valide un changement de signataires sans le moindre contrôle d’authenticité.
Dans les couloirs du ministère du Tourisme, les langues se délient. Certains fonctionnaires parlent d’un “dossier sensible”, d’autres évoquent des “pressions venues d’en haut”.
Personne ne veut endosser la responsabilité d’une erreur administrative devenue affaire d’État.
Le prix du silence
Depuis la révélation du scandale, ni la BICICI ni le ministère n’ont publiquement réagi.
Aucune suspension, aucune enquête interne annoncée.
Un silence pesant, qui trahit la gêne des institutions.
Mais pour les membres de l’AS IGC originelle, la bataille judiciaire ne fait que commencer.
« Ce n’est pas seulement notre argent qu’on a volé, c’est la confiance dans le système », lâche René Amani, président légitime du club.
Et maintenant ?
Face à ce vide administratif, plusieurs voix plaident pour des réformes urgentes :
la création d’une base nationale des associations reconnues, consultable par les banques ;
une obligation légale de vérification des dirigeants avant tout changement de signataires ;
et surtout, des sanctions exemplaires contre les fonctionnaires complices de falsification.
Parce qu’au fond, l’affaire de l’AS Ivoire Golf Club n’est pas une simple escroquerie. C’est le miroir d’un système poreux, où le faux rivalise avec le vrai, et où la complaisance institutionnelle devient la meilleure alliée de la fraude.
Un test pour l’État de droit
La justice ivoirienne a désormais la balle.
Si elle ferme les yeux, elle enverra un signal clair : qu’en Côte d’Ivoire, avec un bon cachet et un bon contact, tout est possible — même voler un compte bancaire en plein jour.
Mais si elle agit, alors peut-être que ce scandale marquera un tournant : celui d’une administration qui se regarde enfin dans le miroir de la transparence.
JEN (Source : l’enquêteur)