Côte d’Ivoire / Présidentielle 2025 : L’hésitation d’Alassane Ouattara, un tango à haut risque pour le RHDP

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Abidjan le 22 juin 2025 – Le stade d’Ebimpé déborde de monde, rempli de partisans chauffés à blanc venus supplier un homme : Alassane Ouattara. Sur les banderoles, l’appel est sans ambiguïté : « Président, encore une fois ! », « Ne nous abandonnez pas ! ». Mais face à cette ferveur, le chef de l’État, malgré l’enthousiasme et la mise en scène d’une ovation quasi-messianique, a botté en touche. Il a entendu l’appel de son parti, il l’a reconnu, il s’est dit ému… mais n’a toujours pas dit oui à un quatrième mandat. Un silence qui en dit long.

Alors que le 2ᵉ Congrès ordinaire du RHDP l’a reconduit à la tête du parti et s’est soldé par une motion unanime en faveur de sa candidature en 2025, Alassane Ouattara a préféré la prudence à l’enthousiasme, la réserve à l’engagement. Au lieu de répondre aux attentes brûlantes de ses militants, il a lancé : « Je prendrai dans les jours qui viennent, après mûre réflexion, en âme et conscience, une décision ». Une formule déjà entendue, un rendez-vous différé qui n’a pas le parfum de la sérénité.

Une fébrilité qui interroge

Cette posture ambiguë, loin de renforcer l’autorité du Président, trahit un malaise. Car refuser de trancher dans un moment aussi stratégique pour son camp, c’est aussi exposer le RHDP à l’incertitude. En politique, l’indécision est rarement neutre : elle sème le doute, affaiblit les lignes, empêche la projection. Le RHDP sort certes uni du Congrès, mais suspendu à la parole d’un homme. Et c’est bien là le problème : sans clarification, l’élan peut vite se muer en frustration.

Cette hésitation pourrait s’expliquer par une difficulté réelle à assumer un quatrième mandat sans apparaître comme un président accroché au pouvoir. À 83 ans, après trois quinquennats et une promesse de retrait en 2020 contredite par les circonstances, Alassane Ouattara peine à se poser en figure de renouveau. Il jongle entre devoir d’État et crainte d’un vide dans la succession, mais sa prudence vire à la fébrilité – une fébrilité qui commence à fragiliser son camp.

Un vide de leadership mal dissimulé

Ce flottement révèle aussi une autre faille. L’absence criante de dauphin crédible au sein du RHDP. Depuis les décès d’Amadou Gon Coulibaly et d’Ahmed Bakayoko, aucune figure n’a réellement émergé. Le parti se retrouve orphelin de relève, incapable de proposer une alternative forte, légitime, unie. Et c’est peut-être cette fragilité interne que le président Ouattara tente de masquer derrière une décision différée.

En repoussant l’annonce de sa candidature, le Président ne donne pas du temps à la réflexion. Il achète du répit à un système qui vacille sans lui. Mais cette stratégie du flou entretient une vulnérabilité politique à double tranchant. Elle galvanise les fidèles, certes, mais expose le RHDP à une désorganisation si, au final, Alassane Ouattara décidait de ne pas se représenter. Et si tel est le cas, le parti aura perdu un temps précieux pour bâtir une candidature de rechange à seulement quatre mois du scrutin présidentiel.

L’hésitation présidentielle relance également un débat démocratique fondamental. La Côte d’Ivoire peut-elle encore avancer sans rompre avec cette personnalisation extrême du pouvoir ? Les appels à un quatrième mandat, aussi légaux ou illégaux soient-ils, renvoient à une logique de dépendance dangereuse, qui entrave toute dynamique d’alternance. La Constitution limitant à deux le mandat présidentiel, le contexte politique appelle à plus de hauteur. Et là, le choix d’un passage de témoin, même encadré, doit être un signal fort de maturité démocratique. En ne tranchant pas, Ouattara entretient la confusion et retarde ce moment de vérité.

Une manœuvre risquée

En définitive, ce suspense, loin de renforcer sa stature d’homme d’État, pourrait miner sa crédibilité. Car une hésitation prolongée dans un contexte électoral aussi décisif peut se transformer en handicap stratégique. Elle crée une brèche dans laquelle l’opposition, mieux organisée et déjà en ordre de bataille, pourrait en tirer grand profit.

Le PDCI, en reconstruction après Bédié, et le PPA-CI de Laurent Gbagbo peaufinent leur offensive. Pendant ce temps, le RHDP reste figé, sans candidat déclaré, prisonnier d’un flou qui risque de coûter cher. Cette fébrilité du président Ouattara, camouflée derrière une posture prudente, pourrait précipiter des divisions internes, réveiller des ambitions étouffées, et affaiblir la machine politique qu’il a construite.

Le RHDP, sans cap clair pour 2025, avance à reculons. Et si l’homme fort du régime ne donne pas rapidement une réponse ferme, le doute pourrait finir par l’emporter sur la fidélité.
JEN