Côte d’Ivoire – Spoliation foncière à Bingerville : Les villages d’Éloka et M’Batto-Bouaké passent à l’action face à Palmafrique et l’État

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Abidjan le 30 Juin 2025 -;« Nos terres ne sont pas à vendre ! » : Ce jeudi 26 juin 2025, sous une pluie battante, les cris de colère ont résonné devant le siège de Palmafrique à Bingerville. Venus des villages d’Élokaté, Élokato et M’Batto-Bouaké, des centaines de riverains ont bravé les intempéries pour dénoncer ce qu’ils qualifient de « braquage institutionnalisé » de leurs terres coutumières, au profit de la société privée SCI Palmafrique Immobilier, avec la complicité présumée du ministère de la Construction, du Logement et de l’Urbanisme.
À la manœuvre, le Comité pour la Défense du Patrimoine Foncier de ces villages, conduit par son porte-parole Nogbou Fabien. Après plusieurs mois d’alertes, de conférences de presse et de recours administratifs infructueux, les communautés Atchan et Gwa ont décidé de hausser le ton. Pancartes en main – « ADO, on veut nos terres », « Bruno Koné, rendez-nous nos terres », « Palmafrique, allez-vous-en ! » – les manifestants ont investi les abords du site industriel de la société, déposant une motion de protestation directement adressée à son directeur général.
Dans ce document, les communautés rappellent l’historique de cette crise foncière vieille de près d’un siècle. Tout commence en 1928, sous la colonisation, avec la réquisition par la SPAO de terres agricoles dans ces trois villages, sans purge des droits coutumiers ni compensation. De 1964 à 1996, l’État ivoirien exploite les plantations via la Sodepalm, puis Palmindustrie, là encore sans aucune rétribution pour les populations.


Un tournant intervient en 2008, lorsqu’une convention est signée entre les villages et Palmafrique S.A. Mais en mars 2023, le ministère de la Construction, à la demande de Thierry Davailes, directeur général de Palmafrique, radie sans concertation une clause d’usage rural portant sur près de 23 millions de m² de terres, rendant ainsi possible leur requalification en zone constructible.
La goutte d’eau de trop ? Une lettre signée le 9 octobre 2023 par le ministre Bruno Nabagné KONE affectant officiellement 234 hectares de ces terres à la SCI Palmafrique Immobilier. Cette correspondance, rendue publique en mai dernier, constitue selon les villageois la preuve éclatante d’un « deal de spoliation » orchestré au sommet de l’État. D’autant que, selon eux, une enquête de commodo-incommodo était toujours en cours au moment de cette décision, et que plusieurs ministères avaient donné un avis favorable à l’opposition formulée par les communautés villageoises. Le seul acteur à s’être abstenu était le sous-préfet de Bingerville, manifestement pris dans un étau politique.
Face à cette situation, les griefs sont clairs : violation des droits coutumiers, absence de consentement libre, préalable et éclairé, opacité totale dans la gestion du foncier, non-respect de la convention de 2008, et surtout, exploitation des terres à des fins purement commerciales sans aucun bénéfice pour les communautés autochtones.
« Depuis 1928, nous n’avons rien reçu, ni compensation, ni développement. Aujourd’hui, on veut même nous effacer de notre propre sol », s’indigne un vieil homme d’Élokato, la voix tremblante mais résolue.


Dans leur motion, les villages exigent :
La libération immédiate des terres concernées ;
L’annulation de tous les actes d’affectation opérés sans leur consentement ;
La restitution des terres coutumières ;
La réparation des préjudices subis ;
La cessation de toute activité de Palmafrique sur les terrains jusqu’à résolution du litige.
« Nous ne sommes pas contre le développement. Mais pas au prix de notre dignité, pas sans nous », clame le porte-parole Nogbou Fabien. « Nous tenons le directeur général de Palmafrique pour responsable des tensions à venir s’il n’y a pas de réponse urgente », prévient-il.
Ce n’est pas la première alerte dans ce dossier. Le 21 mai 2025, une marche similaire avait été suspendue à la dernière minute, après une promesse de médiation de l’administration préfectorale. À l’époque, déjà, la lettre du ministre révélée par les villageois avait ravivé les braises de la colère. Mais aucun signe concret n’est venu calmer les esprits depuis.
Ce nouveau bras de fer pourrait bien maintenir la colère des riverains. Les populations, désormais mieux organisées, disent avoir épuisé la voie du dialogue. Dans une déclaration solennelle, elles annoncent se réserver le droit de poursuivre toutes actions citoyennes et juridiques pour récupérer leur héritage.
Cette affaire est une question de justice foncière, de reconnaissance des droits coutumiers et de transparence dans les décisions publiques. Elle rappelle surtout le rocambolesque scandale foncier en Côte d’Ivoire ; l’affaire Komé Bakary, où l’administration est accusée d’avoir facilité la mainmise d’intérêts privés sur des terres villageoises dans la zone de Djibi.
Pendant ce temps, la tension reste vive dans les Villages d’Éloka.

JEN